Revue Question de
C'est ce que je fais qui m'apprend ce que je cherche.
Pierre Soulages

Unifier la personne

Entretien avec François Roustang

Dissident de la psychanalyse dont il secoue les idées reçues et les dogmes, François Roustang reproche à l’école Freudienne de dissocier corps et psyché tout en enfermant le patient dans la plainte et le ressassement de son problème.

Que cherchez-vous à créer chez vos patients ?
François Roustang : L’habitation par le corps de la réalité présente qu’ils vivent aujourd’hui. L’abandon à ce qui est, l’abandon à l’événement tel qu’ils le vivent, ressenti dans leur corps.

Vous prétendez que lorsqu’on a une « boule au ventre », ou qu’ « on ne peut avaler » tel ou tel fait, qu’il faut au contraire digérer la boule, avaler ce qui bloque…
F. R. : On est mal dans une situation lorsqu’on en fait un objet extérieur à soi. Or il faut assimiler toute situation et le présent tel qu’il est. Je vais prendre un exemple personnel : j’ai reçu des semaines durant un patient qui empestait au point que je me demandais s’il n’avais pas mis exprès les pieds dans la merde avant de venir me voir. Cela me mettait intérieurement en colère. Et un jour je me suis dit : « Je m’en fous qu’il empeste. » À partir de ce jour-là, le phénomène des odeurs a cessé. C’est donc mon propre lâcherprise qui a créé celui du patient. L’Occident est pauvre en mots pour décrire la subtilité de ce qui se passe dans le silence entre deux êtres. Dans ma pratique thérapeutique il faut donc à la fois soupçonner ce qui va et ce qui ne va pas, et ce qui est possible, tout en restant détaché. Et créer une ouverture. Il faut travailler avec de l’intuition, bien que ce mot soit très faible pour se rendre compte de la communication entre deux êtres. Comme le mot télépathie… Autre exemple : un thérapeute vient me voir et me parle d’un patient qui l’angoisse. Je lui dis : « Installez-vous face à lui et attendez d’abord que l’angoisse se dissipe, que vous vous sentiez à l’aise. » Il le fait, et alors que le patient harcèle ce psychiatre depuis des mois, le lendemain de la séance où ce dernier a appliqué mon processus, l’homme l’appelle et lui dit : « Ah, enfin, depuis notre dernière séance je vais beaucoup mieux ! »
Si le thérapeute est serein, tranquille, il peut quelque chose pour son patient, même si la situation est dramatique ou très problématique. L’apaisement du thérapeute crée l’apaisement du patient. Sinon, ce dernier est incapable de trouver cette sérénité qui lui manque. Par contre, si l’on ressent trop les émotions de son patient, on ne le calme pas, et donc cela ne marche pas ! Il faut certes entrer en résonance avec les patients, comprendre ce qui leur arrive, mais sans partager leurs émotions. Entendant leur désarroi, nous avons à leur communiquer, sans mots, le fait qu’il est possible d’être paisible même dans les catastrophes. Et cela vient de nous. En chacun, en dessous de la mer agitée, se trouvent les eaux calmes. Inutile de s’égarer dans des théories et des explications complexes. Il faut tenir compte de tous les éléments qui constituent la vie d’un être et à la fois, en les respectant, rester tranquille.

(…)

Un maître zen, Taisen Deshimaru, disait qu’il faut « penser avec le corps ». Est-ce que cette formule vous parle ?
F. R. : Oui, à condition de ne rien faire, de se laisser vivre. Se poser sans rien faire. Et regarder ce qui se passe. C’est le vide de nos existences qui appelle le souffle qui va les mouvoir. Et la question que pose votre revue : « Le corps, une exploration de l’infini », crée encore une sorte d’objectif : je suis face à l’infini et je vais essayer de l’explorer… Or, pourquoi ne pas plutôt écouter l’infini pour qu’il me transforme ? On a toujours tendance à objectiver les choses.

C’est un peu le principe de la méditation, où l’on respire en conscience et regarde ses pensées-images-émotions aller et venir devant soi…
F. R. : Cela fait beaucoup de choses à faire. Ne rien faire, c’est laisser se faire. Cela dit, moi je suis un thérapeute. Ce que j’ai à faire, c’est d’essayer de pointer ce qui bloque les gens, ce qui leur fait difficulté. Prenons l’exemple de quelqu’un qui arrive toujours en avance ou en retard : comment faire pour qu’il se concentre sur le moment présent de l’heure juste ? L’important est de mettre l’accent sur le symptôme, ce que ne préconise pas du tout le zen par exemple, qui s’occupe de bien faire méditer mais ne se préoccupe pas de l’obstacle à franchir pour rendre la vie plus harmonieuse. Cela posé, l’intérêt de la pensée chinoise et extrême-orientale est qu’elle se veut incarnée et non détachée de son contraire. Tandis qu’en Occident, on pense toujours à partir de concepts qui sont détachés de la réalité ou de la multiplicité des choses.
Propos recueillis par Marc de Smedt

La suite de l’entretien avec François Roustang est à lire dans le nouveau numéro de Question de "Notre corps, une exploration de l’infini".

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