Revue Question de
C'est ce que je fais qui m'apprend ce que je cherche.
Pierre Soulages

La fête de la nouveauté

Auteur question de Arnaud Desjardins

« L’union d’un homme et d’une femme pourrait être une fête permanente de nouveauté et d’émerveillement, mais cela demande un cœur d’enfant joint à la pleine maturité d’un adulte capable de comprendre, d’agir, de donner et de recevoir ».
Arnaud Desjardins.

Les rapports amoureux connaissent beaucoup de drames, de rebondissements, de ruptures qui ébranlent les deux partenaires... Aussi, d’après vous, quelles sont les questions fondamentales à se poser sur soi-même quand on entre dans une relation, et soulever ainsi le voile des illusions ?
Il y a deux aspects essentiels de cette illusion : une illusion concernant soi-même et une illusion concernant l’autre. Avant même que la rencontre ait lieu, on peut être mené par un certains nombres d’idées fausses qui ne correspondent pas à la vérité et que nous projetons sur la relation qui commence. L’idée la plus erronée est de croire que s’aimer, c’est être en tous points, tout le temps, à chaque seconde, d’accord sur chaque détail de l’existence. Ce qu’on appelle classiquement une relation fusionnelle. C’est souvent le cas et je suis donc souvent amené à faire la remarque suivante : si nous regardons le célèbre diagramme du ying et duyang, nous voyons, entrelacées à l’intérieur d’un cercle unique, une forme noire et une forme blanche. Cependant, tout en étant ainsi enlacés, ces deux formes ne sont pas l’image d’une telle fusion. En effet, plutôt que de former une couleur grise uniforme, le noir et le blanc restent bien distincts. J’ai souvent observé que cette simple remarque attirait l’attention sur cette illusion. La célèbre formule : "Nous ne ferons plus qu’un" conduit à toutes sortes de souffrances.
La deuxième illusion est l’emprise de la fascination. Quand une rencontre concrète s’accomplit, les partenaires se laissent fasciner par un détail, que ce soit dans le physique, qui est l’aspect le plus superficiel, le timbre de voix, le sourire, les dons intellectuels ou artistiques. Un aspect de l’autre les attire et ils entament trop vite une relation dans laquelle ils investissent beaucoup, alors qu’ils ne se connaissent pas mutuellement. Autrefois, quand on mettait assez longtemps pour faire la cour à une femme ou quand on se fiançait avant de se marier, cela permettait de faire certaines découvertes, avant de s’engager complètement. En parlant d’une manière assez crue mais réaliste, je dirai : "Restons honnêtes et soyons clairs". Il est préférable de se dire : "Je me sens seul(e) en ce moment dans l’existence, cette femme ou cet homme m’attire, il ou elle est disponible, nous nous engageons dans une relation qui n’aura peut-être pas de suite mais nous en garderons un souvenir heureux parce que nous l’aurons vécue dans la vérité et sans illusion." Or, trop souvent, il y a une attirance et un investissement limité qui peuvent être justes, mais il n’est certes pas toujours justifié de proclamer : "Ca y est, j’ai trouvé l’âme soeur !"
C’est peut-être vrai pour ceux qui ont une certaine recherche spirituelle, donc une certaine exigence, qui ne rêvent plus de conquête, de don juanisme ou de faire "librement" l’amour, et qui veulent une relation profonde et un grand partage.
Mais le plus souvent, les êtres humains se lancent dans une relation alors qu’ils ignorent tout l’un de l’autre. Il m’arrive de connaitre séparément un homme et une femme qui se rencontrent et qui m’annoncent tout d’un coup qu’ils s’aiment... Aussi suis-je facilement amené à savoir sur quelle base de non-connaissance de l’autre ils se sont engagés trop vite. Un des pièges est de confondre, comme je le constate trop souvent, la possibilité d’une véritable relation qui traverse les années et le désir d’une compagnie parce qu’on se sent trop seul.
Pour une relation durable, la première nécessité est d’admettre que l’autre est vraiment un autre. Que nous sommes deux. Que nous sommes différents. Et c’est seulement à partir de la reconnaissance parfaite de cette vérité que, peu a peu, une communion profonde pourra grandir et se stabiliser. Il faut admettre que l’autre n’est pas un alter ego. On ne saurait donc lui demander de vouloir tout ce je veux, d’aimer tout ce que j’aime, de critiquer tout ce que je critique et qu’il soit en face de moi comme si je me regardais dans un miroir : quand je souris, mon reflet sourit, quand je fais la grimace mon reflet fait la grimace. La souffrance de ne pas se sentir compris vient tout simplement du fait que nous tentons de nier cette différence entre l’autre et soi.
La véritable relation n’est possible que sur la base très claire de l’incontournable réalité de la différence.

Vous venez de dire qu’il vous est arrivé de connaitre séparément un homme et une femme qui se rencontrent et qui vous annoncent qu’ils s’aiment, qu’ils veulent se marier, et avoir des enfants ensemble. Et, en tant qu’instructeur, vous constatez à quel point ils sont en train de s’engager trop vite, sur une base de non-connaissance de l’autre, et sur la base d’un grand degré d’infantilisme et d’immaturité psychologique. Que faites-vous ? Quels conseils apportez-vous à ce couple ? Vous arrive-t-il, dans un tel cas, de désapprouver l’union de ces deux êtres qui disent s’aimer ?

D’abord il est difficile d’être sur à 100 % des conséquences que va entrainer l’union de deux êtres, même si j’ai eu avec chacun d’eux des entretiens réguliers. Un facteur a pu m’échapper qui va jouer son rôle. Il peut y avoir dans certains cas des surprises. Un couple qui ne semblait pas posséder tous les éléments positifs en sa faveur peut grandir et croitre. Tout dépend de la façon dont les amants vont assumer les inévitables difficultés. Certes je considère qu’une relation approfondie est importante et beaucoup plus riche que la dispersion. D’autre part si un couple met des enfants au monde, il n’est jamais heureux qu’il y ait mésentente entre les parents, puis séparation. Mais, aussi précieuse que soit la réussite du couple, ce n’est pas le plus important d’une existence. Le plus important est que ceux qui ont une demande suffisamment sérieuse progressent sur le chemin de leur liberté intérieure, de leur réunification, de leur non égoïsme et de leur capacité à être un jour vraiment utiles à leur prochain. Donc, il se peut qu’un échec amoureux, même douloureux soit une partie du prix à payer pour aller plus loin sur la voie de connaissance de soi et du détachement. D’autre part, une question fondamentale qui se pose quand des personnes viennent me demander conseil est : quelles paroles sont-ils susceptibles d’entendre ? Lorsqu`un homme et une femme sont convaincus qu’ils s’aiment, ils ne peuvent en aucun cas entendre : vous n’êtes pas faits l’un pour l’autre et ce sera un échec. Il est donc tout à fait inutile de le dire de cette manière. Je n’ai en aucun cas à intervenir pour leur imposer : mariez-vous ou ne vous mariez pas. Essayer d’attirer leur attention sur certaines réalités flagrantes, oui, mais pas diriger un destin.

Dans vos livres vous utilisez à plusieurs reprises l’expression "mendiants de l’amour"...

Oui... Nous sommes plus souvent des "mendiants de l’amour" que des adultes aimants... L’homme va vers la femme avec une demande égoïste :
"J’ai besoin que tu répondes à toutes mes demandes." Et la femme va vers l’homme avec la sienne. Un adulte infantile ne peut pas supporter certains comportements qui lui apparaissent comme des trahisons et qui n’ont pourtant aucune gravité. Si la femme que j’aime remarque, en voyant un autre homme : "Quelle allure a cet homme ! Qu’il est beau !" cela n’implique en rien que je doive être jaloux et souffrir. Mais pour le mécanisme habituel de l’émotion c’est un coup de poignard au coeur. J’ai vu des couples se détruire très vite à partir de cette impossibilité d’accepter la réalité sans être submergé par une émotion, et par les suites de l’émotion, c’est-a-dire par des conclusions erronées. Ce comportement aberrant est très souvent incompréhensible à l’autre : "Mais qu’est-ce-qui lui arrive pour se mettre dans un tel état !"

Il m’arrive de ressentir, parfois, de la jalousie. Apres l’avoir observé plusieurs fois, j’ai parlé à mon mari de ce que je ressentais, de cette vulnérabilité encore présente. Je lui ai demandé d’accepter l’extériorisation de ces manifestations émotionnelles pour me permettre d’en prendre conscience quand elles surviennent à mon insu, et pour peu à peu les voir disparaitre. Car malgré plusieurs années de travail intérieur, la non confrontation à une vie de couple au quotidien ne m’avait pas donné l’occasion de ressentir de telles émotions et j’aurais pu croire encore longtemps en être exempte et débarrassée à jamais…

Ce que vous dites est très vrai. Quand un tel pacte existe au départ entre l’homme et la femme, le fait d’exposer librement son ressenti, quel qu’il soit, permet d’accepter plus intégralement l’autre dans sa différence et de progresser vers une plus grande maturité relationnelle.

Après quoi courons-nous tous à travers le rêve de la rencontre de l’âme sœur ? Qu’y-a-t-il derrière ce désir ? Nous avons tous été plus ou moins confrontés à ce désir, même après de longues années de pratique spirituelle… Aussi quand nous portons en nous ce désir, ne portons-nous pas le pressentiment que cette expérience est un terrain fertile pour ressentir ce qu’est l’Eveil ? Car on n’a quand même pas tout faux ?

Il y a deux réponses. Une très banale et très connue, que mon expérience confirme et reconfirme : c’est la recherche profonde de se retrouver dans la situation du petit enfant aimé par sa maman, que cette relation heureuse ait vraiment existé, ou non. Ceci relève plus de la psychologie que de la métaphysique mais c’est profondément vrai. J’ai fait plusieurs fois cette observation : un homme est attiré par une femme. Il lui fait la cour et se conduit d’une manière relativement adulte. Mais, du jour ou la femme a répondu à son amour, voici qu’à l’étonnement de la femme l’homme change complètement. Il devient infantile, hypersensible, la moindre réflexion ou critique lui fait mal. Si la femme sourit à un autre homme, cela le torture.
Quand l’homme sent qu’il vient de rencontrer la femme de sa vie, s’installe en lui un immense besoin de reconnaissance inconditionnelle : la femme doit le trouver merveilleux et l’approuver en tout. A ce moment-là, l’homme est submergé par le petit enfant encore vivant en lui. Ceci est un aspect de la réponse à votre question.
Mais en-dehors de cette mendicité d’être aimé, une des grandes données est que toute la réalité manifestée est fondée sur la bipolarité. Pourquoi emploie-t-on dans le langage de la passion amoureuse des termes mystiques ? Pourquoi emploie-t-on dans le langage mystique des termes de la passion amoureuse ? Pourquoi les Upanishad majeures représentent-elles la réalité ultime comme un couple en union intime ? La division de toute la réalité en masculin et féminin est une donnée métaphysique et naturelle. La division de l’humanité en deux sexes est un fait majeur. Tout être humain avant d’être un homme ou une femme est d’abord être humain. L’être humain est à la fois féminin et masculin, avec des valeurs masculines qui prédominent chez les hommes et des valeurs féminines qui prédominent chez la femme. L’idée qui a toujours été exprimée dans les enseignements traditionnels est que l’être humain est appelé à devenir le plus complet possible, que la femme trouve l’homme en elle-même, et que l’homme trouve la femme en lui-même. Mais pour cet accomplissement, il est généralement nécessaire de passer par la femme au-dehors et par l’homme au-dehors. Et une femme particulière ouvre l’homme au monde de la femme et un homme particulier ouvre la femme au monde de l’homme.

Je voudrais prendre un exemple personnel. Je vis avec un homme plus sage que moi. Si nous nous arrêtons aux définitions psychologiques hâtives et si nous portons un regard superficiel sur notre relation et au vu de ces « symptômes extérieurs de différences d’âge », les apprentis diagnosticiens déclarent : « Elle a épousé son père ! » et, ainsi confinés dans cette dualité père-fille, il devrait nous incomber, à perpétuité ces deux uniques rôles ! Or, notre vie relationnelle est mue par une variété de rôles différents que nous jouons avec beaucoup de joie et de sérieux. C’est vrai. J. est parfois mon père. Et, plus tard, je deviens la sœur , la maîtresse, la partenaire de travail, l’amie, la mère… et J. devient lui aussi tour à tour l’amant, le frère, le père, l’assistant.. Cette multiplicité des rôles enchante notre vie d’une réalité ludique et nous évite de trop nous identifier aux images stéréotypées du couple marié !

Je suis profondément d’accord avec ce que vous dites là.
Une femme peut jouer pour un homme tous les rôles que les femmes peuvent jouer dans une vie d’homme. Cette multiplicité des rôles favorise beaucoup la fidélité dans la vie conjugale. Dans un bloc opératoire un homme est chirurgien. Quand il joue au tennis avec un ami, il n’est plus chirurgien mais il est tennisman. Et quand il raconte Blanche Neige à sa petite fille, il n’est plus chirurgien mais papa. C’est une des approches du Dharma. Notre existence comporte différents rôles que nous pouvons jouer le mieux possible, tout en comprenant que, parce que nous pouvons jouer tous ces rôles, nous ne sommes fondamentalement aucun des rôles en question. Et une vie de couple durable qui ne va pas vers une destruction ou une déception, implique que la femme joue le plus de rôles possibles pour l’homme et l’homme le plus de rôles possibles vis-à-vis de sa femme. Et, accepter de jouer ce jeu de rôles sans identification à aucun d’entre eux est un excellent apprentissage vers l’érosion progressive de notre ego...

Y-a-t-il des éléments caractéristiques de la Sagesse qui peuvent contribuer à une vie amoureuse plus épanouie, et vice-versa, des éléments de la vie amoureuse qui peuvent enrichir la nature sensible de la Sagesse ?

Dans les deux cas c’est vrai. La sagesse est forcément un atout dans une vie à deux. Quel que soit le sens que nous donnons au mot sagesse, et même un sens aisément accessible, celui avec lequel tout le monde sera d’accord : égalité d’âme, égalité d’humeur, pas d’émotions par lesquelles on est emporté et qui entrainent des comportements compulsifs allant à l’encontre de nos intérêts, plus de lucidité, de vigilance, de maitrise de soi... Il ne fait aucun doute que tout cela ne peut être que bénéfique à la relation entre un homme et une femme. Mais ce changement intérieur peut prendre bien des années. Alors, s’il faut attendre d’avoir cinquante ans pour fonder une famille, les enfants n’auront que de Vieux parents !
La relation de couple comprise dans une certaine lumière est un véritable yoga. Elle demande une déontologie, ou pour utiliser un mot plus ordinaire, un mode d’emploi.
Il y a actuellement dans notre société un accroissement du niveau intellectuel. Qui s’arrête aujourd’hui au certificat d’étude ? Plus personne !
Intellectuellement, l’information est de plus en plus poussée, tandis qu’émotionnellement c’est loin d’être le cas. Les adultes sont trop souvent des pseudo-adultes, émotionnellement puérils. Et avant de s’engager sur le chemin de la sagesse, exigeons de nous-mêmes que nous devenions normalement adultes avec ce que cela représente de solidité intérieure, de capacité a être seul, à accepter que l’autre ne soit pas la pure réplique de nous-mêmes, à vivre dans le monde tel qu’il est et non tel que nous voudrions qu’il soit. De même, avant de nous engager dans une relation amoureuse posons-nous la question : qu’est-ce que, selon moi, va être une relation de couple ? Il nous faut apprendre. Là intervient une différence capitale entre le monde actuel et ce que nous appelons les mondes traditionnels dont j’ai eu l’expérience pendant les quinze années de ma vie que j’ai partagées entre l`Occident et l’Asie. J’ai vécu dans l’intimité de familles hindoues encore très imprégnées du karma, de familles bouddhistes et même de familles musulmanes, bien qu’il soit plus difficile, dans ce contexte de connaitre les épouses de ses amis. C’est la distinction, ô combien connue, mais qui n’en est pas moins capitale, entre être et avoir. Est-ce-que j’ai un une épouse ou est ce que je suis un mari. Là est le mode d’emploi. Si vous voulez rater votre couple, ayez une épouse. Si vous voulez le réussir, soyez un mari. J’ai souvent raconte une histoire qui m`a immensément frappé :
Je me trouvais il y a trente ans à l’ashram de Ma Ananda Mayi. Une petite fille de douze ans, toute contente de parler avec un étranger vient me faire la conversation :
- "Uncle..." -c’est la manière dont on s’adresse aux étrangers en Inde. On échange quelques propos habituels puis elle m’explique :
- "Quand je serai une épouse je ferai..." Elle me raconte tout ce qu’elle fera quand elle sera une épouse. Et je me suis tout d’un coup rendu compte que tout était fondé sur le verbe être, le dharma d’épouse. Comment, en tant qu’épouse, elle se situera par rapport à son mari. Elle ne me racontait pas les rêves de tout ce que son mari ferait pour elle, mais les rêves de tout ce qu’elle serait pour son mari, de tout ce qu’elle ferait pour son mari. Etant bien entendu dans son esprit que son mari serait un époux et jouerait parfaitement le rôle qui incombe à un époux. Ce n’est pas une idée originale mais une idée n’a pas besoin d’être originale pour être véridique.

Je vous écoute... et pendant que vous parliez, j’étais en train de penser qu’il n’y finalement que les sages ou les éveillés qui auraient une aptitude immédiate à vivre une vie de couple harmonieuse et paisible ! Alors que ce sont eux, finalement, qui n’en ont plus besoin ou qui y renoncent... Pour la plupart d’entre nous, la rencontre amoureuse, même la plus profonde, entrainera inévitablement des souffrances...

Ce que vous dites est juste. Toute femme n’est pas en droit d`espérer qu’elle va épouser le Bouddha lui-même. Nous épousons un être humain qui n’a pas franchi tous les degrés de la liberté intérieure et nous devons l’admettre à l’avance.
Maintenant, l’expérience montre aussi que l’engagement sur un chemin spirituel, s’il n’est pas vécu très sérieusement et en profondeur, augmente encore certaines difficultés lorsque les deux conjoints sont engagés sur la même voie. En cas de mésentente, de contradictions, de discussions, chacun des deux partenaires, au lieu de constater qu’il est emporté par son émotion et le jeu de son mental, accuse l’autre de ne pas mettre en pratique l’enseignement en question. Les querelles stériles sont alors émaillées de paroles de sagesse, des propos du gourou répétés tout a fait mécaniquement, ce qui augmente encore la confusion. C’est un piège souvent revenu à mes oreilles et dont j’ai même été parfois témoin. Se réclamer d’un enseignement n’est pas la même chose que de le Vivre ici et maintenant. Pour que le mariage soit un yoga, une voie, il faut avoir une certaine préparation, un commencement de liberté et de maturité et certaines clés de compréhension - ce que j’ai appelé tout à l’heure un mode d’emploi. Quand c’est surface contre surface, émotion contre émotion, complication psychologique contre complication psychologique, qu’est-ce qui pourrait être simple ? Un être non unifié qui ne se connaît pas vraiment lui-même rencontre un autre être non unifié qui ne se connait pas lui-même, comment leur relation pourrait-elle être toujours simple, aisée et détendue ?

Les hommes et les femmes vont inévitablement continuer à s’unir...

Oui et heureusement, mais hélas, trop souvent par ignorance, méconnaissance ou illusion. Oui, les hommes sont attirés par les femmes et les femmes par les hommes mais à partir de grandes frustrations affectives remontant à l’enfance. Les hommes et les femmes vont continuer à s`attirer et à attendre l’un de l’autre la diminution de leurs tensions. Les êtres humains qui ne sont pas complètement unifiés et pacifiés ont besoin de détendre leurs tensions, quelles qu’elles soient et quelle qu’en soit la cause, tensions non seulement physiques mais émotionnelles et mentales.
L’attirance aura lieu. Alors qu’est-ce qui peut faire que ces rencontres aident à progresser en expérience, en compréhension, et soient une voie de maturation ? Comment tirer le meilleur parti des nos circonstances extérieures et de nos vécus intérieurs, c’est-a-dire ce qui reste de confusion, d’illusion et d’émotion ?

Certaines traditions de l’Inde parlent de conversion de l’énergie sexuelle en énergie spirituelle. Doit-on en déduire que l’éveil est réservé à ceux qui font abstinence sexuelle ?

L’expérience montre que certains sages et maitres spirituels ont eu une vie sexuelle ou parfois même poursuivent leur vie sexuelle et mettent des enfants au monde tardivement, après qu’ils ont atteint l’illumination, qu’ils ont été reconnus par leur propre maitre et par leur entourage comme véritablement transformé de l’intérieur. Sur certaines voies, cette transmutation de l’énergie sexuelle est exigée mais elle ne l’est pas obligatoirement. Ce qui est implique obligatoirement est une vie sexuelle de plus en plus épurée des tensions, des émotions et de l’égoïsme. Une vie sexuelle aisée, naturelle, détendue. Car il est rare que la vie sexuelle soit vécue sans éléments psychologiques perturbateurs. Un point faisant partie de la confusion actuelle est tout ce que nous mettons en Occident sous le nom de "Tantra". N’importe qu’elle forme ordinaire de sexualité est affublée d’oripeaux mystiques ; ceci ne correspond absolument pas à ce que dit la Tradition. L’utilisation ritualisée de l’acte sexuel comme acte de méditation s’adresse a des disciples véritablement qualifiés. L’intensité de la demande sexuelle, au moment où elle se présente, peut être un point d’appui pour une expérience spirituelle. Cette ascèse ne s’adresse qu’à de véritables disciples et demande des concours de circonstances qui ne sont jamais réunis dans le contexte ordinaire. Si la demande sexuelle
érotique est intense de part et d’autre, préparée par une longue période de méditation et d’abstinence, au moment où la demande est la plus forte, il peut y avoir un lâcher-prise momentané de l’ego individualise. Cette expérience d’abandon total est difficile car c’est le moment ou l’ego veut le plus être là pour vivre cette intensité et cette satisfaction de l’accouplement. Mais si l’ego peut lâcher prise au coeur de cette intensité de l’union sexuelle, ce n’est plus une personne individualisée qui la prend en charge, c’est l’expérience elle-même du lâcher prise qui emporte les deux amants unis vers une autre réalité. Mais c’est plus facile d’en parler dans un entretien que d’imaginer le vivre réellement. Il suffit de ne pas mélanger les niveaux et de ne pas vivre dans une confusion qui ne permettra jamais une progression. En vérité, plus la sexualité est heureuse, simple, spontanée, sans recherche d’états d’extraordinaires, mais en considérant que ce qui est extraordinaire est justement cette simplicité, plus elle sera favorable à la croissance intérieure et à la croissance de la liberté.

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