« Tu honoreras ton père et ta mère ». Ce 4ième Commandement laisse rarement émerger les véritables sentiments des enfants. Il est crucial pour l’enfant maltraité devenu adulte de se délivrer de ce modèle, d’accepter de voir ses parents tels qu’ils sont, de regarder la réalité de son enfance, afin de ne pas transférer sur leur corps et encore moins sur leurs propres enfants le manque d’amour inassouvi.
Les dictateurs comme Staline, Hitler, Mao, Hussein, Milosevic, Napoléon cherchent dans le pouvoir absolu le moyen de contraindre les masses à leur témoigner le respect que leurs parents ne leur ont jamais accordé. Ils nient les souffrances de leur enfance et les masquent derrière leur folie des grandeurs. La compulsion de répétition les replace dans leurs anciennes situations d’impuissance qu’ils cherchent à fuir. Pour finir par mourir dans leur vérité : Staline englué dans la parano, Hitler dans son bunker, Mao rejeté par son peuple, Hussein dans sa cave à proximité de son lieu de naissance, Milosevic en prison, Napoléon en exil... La totale impuissance de leur enfance et l’immense peur d’affronter leur vérité a mené ces hommes à massacrer des millions d’êtres humains. Notons la forte tendance des personnes ayant elles-mêmes beaucoup souffert à tolérer la cruauté de ces figures paternelles et à rester indifférente au sort des enfants maltraités. Cela les préserve du risque d’ouvrir les yeux et de maintenir bien verrouiller l’accès à leur propre souffrance.
Si bon nombre de thérapies sont vouées à l’échec c’est qu’elles s’obstinent à suivre la morale dans laquelle sont piégé les thérapeutes eux-mêmes. Elles empêchent le patient de se libérer de l’idée qu’il doit éprouver de l’amour envers ses parents. Les véritables sentiments du patient restent bloqués et il continue à espérer que ses parents l’aimeront. L’échec d’une véritable communication avec ses parents fera un adulte incapable d’offrir à ses enfants quelque chose qu’il n’a pas reçu : un amour vrai et inconditionnel.
Le père de Dostoïevski traitait ses serfs si cruellement qu’ils finirent par le battre à mort. Son fils qui fit les frais de sa violence fut perpétuellement menacé dans son existence même. A la recherche d’un sort plus clément, il se mit à jouer et mourut très jeune. Il n’écrivit jamais sur son père. Tchekhov a entretenu toute sa famille financièrement à force de privations.
Son père, alcoolique, lui infligeait d’inimaginables et cruelles raclées. Jamais Tchekhov n’en parle dans ses écrits. Il meurt à 46 ans. Kafka beaucoup trop terrifié par la menace du châtiment que son père aurait pu lui infliger n’osa jamais envoyer sa lettre. Il meurt à 41 ans. L’œuvre de Nietzsche est un cri appelant l’homme à se libérer du mensonge, de l’hypocrisie. Il souffrait de terribles maux de têtes liés à la répression d’émotions fortes. Schiller souffrit le martyre à force d’avoir été battu dans son enfance et plus tard dans l’armée. Il souffrait à répétition de crampes et mourut à 46 ans, sans dénoncer personne. Virginia Woolf, abusée sexuellement par ses deux demi-frères, se jeta dans le fleuve. Dans ses écrits, elle idéalisait ses parents pourtant au courant. Arthur Rimbaud ne s’est pas autorisé à détester sa mère qui était odieuse. Il recherche désespérément l’amour, répète des relations à sa mère et à chaque échec, il retourne chez elle. Pour y mourir à 37 ans. Marcel Proust mourut de suffocation. Il préfère explicitement souffrir que de prendre le risque de déplaire à sa mère dont l’amour l’étouffe. James Joyce subit 15 opérations aux yeux. Que n’avait-il pas le droit de voir du fardeau de souffrances de fils aîné d’une mère de 17 enfants et d’un père alcoolique.
« Ne pas avoir de souvenirs de son enfance, c’est comme si tu étais condamné à trimballer en permanence une caisse dont tu ne connais pas le contenu. Et plus tu vieillis, plus elle te paraît lourde, et plus tu deviens impatient d’ouvrir enfin ce truc. »
Jurek Becker
Rompre avec l’attachement de l’enfant
Le patient peut se délivrer de l’attachement destructeur d’enfant maltraité avec l’aide d’un accompagnateur qui lui-même a réussi ce détachement. Après avoir pu formuler son indignation envers le comportement de ses parents, en tant qu’adulte, il est devenu capable de gérer sa vie plus librement, sans haïr ses parents et en ayant définitivement cessé d’espérer que ses parents lui donneront ce dont il a été privé dans son enfance.
Adultes, nous ne sommes pas obligés d’aimer nos parents
Seul le refoulement peut maintenir l’illusion qu’un jour, on finira par « mériter » leur amour. Celui-ci risque de nous amener à trouver des partenaires qui ressemblent à nos parents et avec lesquels nous répéterons notre quête d’amour aussi stérilement. Nos parents ne sont pas obligés de nous aimer et nous ne sommes pas obligé d’aimer nos parents.
Notre corps est le gardien de notre vérité
Les vieilles blessures ne peuvent cicatriser que lorsque la victime a décidé de changer, de se témoigner du respect, et d’abandonner ses vaines attentes.
Briser les interdits
Ce désir de faciliter la vie de ses vieux parents et qu’ils vous accordent enfin votre amour se trouve en contradiction avec le besoin profond d’être fidèle à soi-même. Se duper amènera notre corps à nous le faire savoir sans ambages car il est l’expression authentique de son vrai soi.
Aux racines de la violence
Pour pouvoir honorer ses parents, nous apprenons à ne pas ressentir la haine qu’ils méritent. Patrice Allègre ne s’autorisait pas à haïr sa mère : ses désirs de mort envers elle l’ont contraint à tuer d’autres femmes, innocentes « comme sa mère », à la place de sa mère.
Nous pouvons enfin ouvrir les yeux
Une fois le mensonge de l’enfance maltraitée levé, le patient peut cesser de croire qu’il est n’était pas digne d’être aimé. Tout ce qui a été édifié sur le mensonge et l’hypocrisie se détache du moi. Une vraie relation peut commencer, car elle ne peut être vraie que si des deux côtés, on parvient à vivre ses sentiments et à les exprimer sans peur.
L’exemple de l’anorexie
L’anorexie est un exemple frappant de la manière dont le corps tire un signal d’alarme, avertit le malade de sa vérité. Une femme anorexique a compris que la nourriture dont elle manquait depuis l’enfance et qu’elle recherchait désespérément était la véritable communication émotionnelle : « Je meurs de faim car personne ne veut me parler ». Comme elle n’en n’avait pas l’expérience, elle ne savait pas que cette nourriture existait jusqu’au moment où elle pu parler totalement à quelqu’un qui l’a écoutée. Cette personne lui apportait enfin cette nourriture. De la même manière, le boulimique cherche l’aliment qui lui a manqué toute sa vie et continuera à chercher jusqu’au moment où il l’aura trouvé.
Lorsque nous acceptons la relecture fidèle de l’histoire de nos rapports avec nos parents, il y a l’espoir de naître à une authentique liberté intérieure.
Laurence de Vestel
Alice Miller est née le 12 janvier en 1923 en Pologne et est décédée à Saint Rémy de Provence en France le 14 avril 2010. Après ses études à l’université de Bâle en philosophie, psychologie et sociologie, elle passe son doctorat en 1953 à Zurich et travaille pendant vingt ans comme psychanalyste et enseignante jusqu’en 1980. Elle se consacre ensuite à la recherche sur l’enfance. Ses ouvrages et thèses traitent de la violence cachée, qui selon elle, caractérise souvent les relations parents – enfants. Elle est l’auteur de 13 livres traduit en 30 langues, ouvrages dans lesquels elle décortique l’influence et le retentissement psychosomatique des années d’enfance qu’elle illustre à l’aide de récits de ses patients mais aussi à l’aide de ses nombreuses études sur les biographies de dictateurs ou artistes très connus.
Jean-Christophe Seznec
Alexandre Jollien
Alice Miller