Revue Question de
C'est ce que je fais qui m'apprend ce que je cherche.
Pierre Soulages

Vivre en couple : comment vivre ensemble en acceptant d’être différent ?

Auteur question de Jacques Salomé

Qu’est-ce que c’est fondamentalement que vivre en couple ?
* Proposer une intimité personnelle à une autre intimité personnelle, pour tenter de créer une nouvelle intimité celle d’un vivre ensemble, à la fois proche et dans une perspective de durée. J’appelle cette intimité nouvelle : Intima, suffisamment intime pour accepter les forces de cohésion et d’union et suffisamment ouverte pour respecter les forces d’autonomie et d’expansion en présence.
* Se proposer un projet de vie commune, qui respectera et renforcera l’intimité de chacun, du moins c’est l’espoir implicite des deux créateurs d’un couple, ou du moins l’espoir de l’un. Autour de cet enjeu de la création possible d’une intimité, vont s’affronter des forces parfois antagonistes :
- la capacité d’autonomie personnelle,
- la capacité de partages et d’échanges,
- la capacité d’évolution et d’engagements réactualisés.
* Vivre ensemble en couple c’est aussi avoir la capacité de différencier et de vivre chez chacun, deux sentiments. Deux venant de moi et deux... venant de l’autre :

- L’amour que j’ai pour la personne choisie. J’appelle amour, l’éventail des sentiments, parfois simultanés, qui m’habitent et me mobilisent vers un être (et non pour un être !) A l’expression j’aime, il conviendrait d’ajouter un qualificatif (amour de besoin, de peurs, de manque, de consommation, ou amour idéalisé.) ou encore amour de désir.
- L’amour que me propose l’autre, qui me vient de l’autre (ou qui ne vient pas).
Et au travers de cette double interrogation, je suis renvoyé, à la nature, à la dynamique de la relation que je propose (impose) à l’autre ou qui m’est proposée (imposée ou attendue) par l’autre. C’est donc la rencontre de ces quatre "amours" ou sentiments qui vont dynamiser ou paralyser la vie d’un couple.

Le mécanisme de la rencontre
* Quatre démarches vont être à l’oeuvre pour créer un couple :
- se rencontrer c’est-a-dire s’attirer,
- se relier : inscrire la rencontre dans le temps d’un projet,
- s’allier : réaliser le projet soit sur un mode formel (mariage) soit sur un mode plus informel (vivre ensemble...),
- se lier : c’est à dire s’engager, reconnaître l’autre comme bon pour soi et... en avoir la confirmation. Se sentir et se reconnaitre comme bon pour l’autre... et en avoir la confirmation.

* Une grande partie du travail d’ajustement relationnel d’un couple se fera :
- sur le dépassement (ou non) des idéalisations et des mythologies personnelles (ensemble des croyances sur l’amour, le couple, la famille, la fidélité...)
- sur le dépassement ou le maintien des systèmes relationnels : installés dès les premières rencontres. Par système relationnel nous entendons la mise en place d’un jeu (au sens de répétition) fondé sur la complémentarité ou l’antagonisme des positions relationnelles respectives ;
- sur la clarification des attentes, des apports et des intolérances qui structurent l’essentiel des échanges implicites et quelquefois explicites de chacun des membres d’un couple ;
- sur la prise de conscience et le respect de quelques règles d’hygiène relationnelle susceptibles de favoriser le partage, l’échange et la croissance mutuelle.

Vivre en couple c’est bien au-delà de la rencontre, tenter d’établir une relation dans la durée, avec le projet de partager un territoire, un espace de temps, un quotidien au présent et un avenir dont la durée malgré l’intentionnalité... reste incertaine pour la plupart de ceux qui tentent l’aventure du "Vivre ensemble". Vivre en couple c’est, tout d’abord, aller plus loin que la rencontre. La rencontre de deux êtres est fondée sur une attirance, qui même si elle est mutuelle, reste toujours asymétrique dans le Sens ou les enjeux, les investissements affectifs de chacun des protagonistes sont fondamentalement différents
"Personne ne s’intéressait à moi jusqu’au jour, où je l`ai rencontré. Je me suis attaché à lui, moi qui pensais que personne ne pouvait m’aimer." Et lui dira : "Son admiration sincère et son adoration pour moi m`ont touché au plus profond. Je ne savais pas que je pouvais être si important pour quelqu’un. Au fond je me suis laissé aimer... sans m’interroger réellement sur mes propres sentiments ni sur mon projet de vie à moi !"
Beaucoup de rencontres vont se dynamiser chez l’un des protagonistes, à partir d’un manque, d’une carence, ou de la tentative, inconsciente, de restauration d’une relation antérieure blessée ou meurtrie.
La rencontre va se faire souvent à partir d’images proposées par l’un à l’autre ou inventées par l’autre sur le premier.
"Je croyais que c’est comme cela que je pourrais me faire aimer, en me montrant ni mes failles, ni mes faiblesses ou les doutes qui m’habitaient. J’ai choisi une femme que j’ai vu comme faible, déprimée. Quand plus tard elle s’est affirmée, qu’elle m’a montré toutes les ressources qu’elle avait, paradoxalement, je ne l’ai pas supporté dans un premier temps. Je me suis opposé à cette "nouvelle femme" qui vivait avec moi et je le comprends mieux aujourd’hui, c’est horrible mais je ne le voyais pas à l’époque, je voulais la remettre dans sa déprime. Quel chemin j’ai du faire pour dépasser cela !"
Ces images vont être l’objet d’une idéalisation ou d’attentes implicites (jamais dites mais toujours présentes, ensuite dans le vécu quotidien) :
"Je n’avais jamais parlé de moi à personne, j’étais un homme timide, réservé, plutôt bloqué. Les premiers temps ? Je lui parlais de tout car elle savait écouter, sans jugement, sans me couper... Par la suite elle m’a reproché de trop parler, qu’elle ne pouvait rien me dire, que je ne l’écoutais pas. C’était vrai, mais moi ? J’étais loin d’imaginer cela. Je ne savais pas que c’était important pour elle, d’être écoutée. Je la voyais si à l’aise avec ses amis, si libre dans son expression que jamais, je n’aurais pensé qu’elle aussi avait besoin d’être entendue. Quand elle m’a quitté, je suis tombé des nues car j’étais vraiment bien avec elle. Je n’ai rien venir, j’étais aveugle et totalement allergique aux "relations humaines".
Il m’est arrivé de dire souvent : la psychologie c’est des conneries, un attrape-gogos. "
Le temps de la rencontrer est chargée de beaucoup d’illusions autour des attentes de chacun sur l’autre. Même si peu de ces attentes sont comblées, dans la réalité de la vie commune, il y a le mythe et l’espoir qui s’y rattache : "l’autre changera qu’il me comprendra, qu’il saura m’entendre un jour."

Un double niveau d’engagement
Tout homme, toute femme qui s’engage dans une relation de couple s’engage en fait à un double niveau :
- A un niveau actuel, contemporain : "L’homme qui je suis aujourd’hui s’engage avec la femme que tu es aujourd’hui, telle que je la vois." "La femme que je suis aujourd’hui s’engage avec l’homme que tu es aujourd’hui, tel que je le vois."
- A un niveau futuriste, lié à l’avenir et au changement de chacun : "L’homme que je suis aujourd’hui s’engage pour un homme en devenir dont j’ignore totalement ce qu’il deviendra à travers moi, par son évolution personnelle." "La femme que je suis aujourd’hui s’engage pour une femme en devenir, dont j’ignore totalement ce qu`elle deviendra, à travers son évolution personnelle."` A cela vient s’ajouter le mythe d’une évolution commune, harmonieuse. Sans comprendre et toujours accepter qu’une évolution en commun ne veut pas dire une évolution commune, semblable ou identique.

Le temps de la relation va être parsemé d’embûches et j’aurais même envie de dire de pièges. Le premier et le plus essentiel à mes yeux sera de découvrir que dans une relation de couple, il y aura en fait quatre sentiments en présence. Deux chez lui et deux chez elle.
* Chez lui :
a- L’amour pour la personne, c’est à dire l’ensemble des sentiments dont il se sent porteur à l’égard de l’autre.
b- L’amour de la relation proposée car au-delà des sentiments, il lui faudra aussi aimer la relation que l’autre lui propose.
* Chez elle :
c- L’amour pour la personne...
d- L’amour pour la relation proposée...
Ce sera autour des sentiments ressentis en b et d que se joueront les plus grosses difficultés d’un couple. Car très rapidement vont apparaître des déceptions, des blessures, des incompréhensions.
"J’ai du mal a supporter tes remarques sur mes dépenses, la relation que tu me proposes je la ressens comme celle d’un pingre, toi que j’ai vu si généreux dans ta propre famille." Ou encore : "Je ne supporte pas quand tu me compares à mon père et que tu me disqualifies devant les enfants en soupirant devant les autres." "Oh, lui ! On ne peut rien lui demander en dehors de son travail !"
La relation que nous proposons à un moment donné à l’autre peut se révéler frustrante, violente ou abusive. "Quand il me dit d’une voix dolente : ‘’Il reste de la bière au frigidaire ?’, Je peux me lever et lui offrir une bouteille sans la mousse car je sais qu’il n’aime pas cela. Mais quand cela devient un système, quand il ne lui vient même pas à l’esprit que je ne suis pas au service de ses besoins, ni de ses désirs... Cela devient insupportable pour moi !"
Un autre ennui va se révéler pernicieux c’est "l’attachement" aux familles d’origine. Attachement non pas nécessairement physique mais plus subtil au niveau des missions à remplir, des injonctions, des fidélités à des systèmes de valeurs ou de références totalement différents ou parfois antagonistes : "Quand on a un enfant on ne fume pas", "Quand on n’a pas d’argent, on n’emprunte pas ! On attend d’en avoir !"
De même les chemins de chacun vont diverger, parfois, avec l`évolution de leur sensibilité, de leurs goûts : "Je ne comprends pas, au début, elle adorait la montagne, nous sortions tous les dimanches et passions nos vacances avec des amis passionnés d’escalade... Aujourd’hui, elle refuse tout. Elle s’intéresse à des choses qui ne m’intéressent pas moi !" Oui, il n’avait pas entendu, peut-être, qu’elle n’aimait pas la montagne mais lui aimant la montagne, que elle le suivait, avec enthousiasme certes mais que ses intérêts à elle n’étaient peut-être pas encore nés, au début de leur relation, qu’ils étaient en devenir. Et quand ils éclosent enfin... lui est perdu, désorienté. Il avait cherché un miroir, un amplificateur de ses passions il découvre un être vivant, qui lui semble étranger, lointain.
Beaucoup de crises inévitables et quasi prévisibles attendent les aventuriers du couple et cela n’est pas grave en soi car chacune de ces crises est porteuse d’une dynamique de changements, de stimulations vers un renouvellement de créativité pour intégrer des découvertes. Ce qui va manquer à la plupart des couples, ce sont les moyens pour justement mettre en commun. Ce qui va manquer, ce sont les quelques règles d’hygiène relationnelle "favoratrices" d’un échange, d’un partage.

Quelques règles d’hygiène relationnelle
En voici quelques unes :
* "Quand je me dis, je peux parler dans trois registres différents :
- au niveau des faits : ce qui s’est passé, l’histoire ou l’événement.
- au niveau du ressenti : comment je l’ai vécu avec ma sensibilité, ma disponibilité ou mes intolérances du moment.
- au niveau du retentissement : qu’est-ce qui a été réveillé en moi par l’événement dans ma propre histoire, qu’est-ce qui est réactivé de mes blessures ou des mes ressources cachées.
Et bien sur je réclame ou j’attends de l’autre une écoute dans ces trois dimensions. La plupart du temps, il ou elle ne me donne pas cette écoute pleine et active. Soit il / elle fait un commentaire sur l’événement et développe son propre discours, sa propre histoire des faits. Soit, il / elle supporte mal mon ressenti, surtout quand il ne correspond pas au sien. Il / elle a alors tendance à rejeter, à nier, à minimiser ce que pourtant j’ai "ressenti".
"Quand je dis que j’ai froid et qu’elle me répond : ’Mais le thermostat est a 24°’, je ne me sens pas entendu."
"Quand il me dit : ’Si tu m’aimais tu aurais des désirs pour moi comme moi j’en ai pour toi’, je me sens un peu piégé, sentant confusément que désirs et sentiments ne sont pas dans le même registre."
"Quand je tente de dire mon imaginaire, que j’aimerai changer de travail, elle me répond que je suis bien payé, que j’aurai du mal à trouver un poste semblable. Elle n’entend pas que, justement, j’aimerais changer de poste."
Ma conviction la plus profonde est que nous sommes les uns et les autres des infirmes de la communication, que nous arrivons sur le terrain de la communication intime avec un handicap incroyable, avec des conduites anti-communicationnelles dont la découverte au cours des ans va nous stupéfier ou dont l’aveuglement, va nous conduire parfois dans des impasses désespérantes.
Beaucoup d’entre nous perçoivent les dérapages, pressentent les malentendus et subodorent les deux pièges qui reviennent le plus fréquemment
* L’accusation directe de 1’autre : "C’est ta faute tu as toujours raison, tu n’es jamais là, on ne peut jamais discuter avec toi". C’est l’accusation indirecte, implicite de l’autre par des silences, des bouderies, des oublis ou des fuites.
* L’auto-accusation :
La dévalorisation, la disqualification de soi-même : "Oui, mais moi je n’ai pas fait d’études, mon père buvait, je n’ai jamais eu confiance en moi, j’ai toujours tout gâché. Je me demande ce que tu me trouves pour rester avec moi..."
Oui, sortir de ce double piège sera la première démarche pour accepter de prendre la responsabilité de la relation avec laquelle je suis en contact direct. C’est une véritable révolution relationnelle qui s’amorce quand l’un des protagonistes du couple découvre qu’il est "partie prenante" dans toutes les interactions de la vie conjugale.
Je suis "partie-prenante" non seulement de ce que je dis, de ce que je fais, de ce que vis, mais aussi de la façon dont je reçois, amplifie, refuse, ou rejette ce qui me vient de l’autre.
Telle femme dira : "Pendant 16 ans de mariage j’ai tout accepté de lui, tout en me révoltant intérieurement." Cette femme ne se respecte pas en faisant cela, elle aura donc parallèlement à ses conduites de soumission, des comportements plus subtils d’opposition, de mise en échec ou de sabotage relationnel.
Tel homme : "Je ne savais pas dire non, je croyais qu’il fallait toujours dire oui, pour faire plaisir, pour ne pas faire de la peine pour être vu comme un bon mari, un bon père, un bon fils."
Une femme : "Pendant des années je me suis laissée définir. J’allais dans le sens de ses demandes. J’entrais dans ses désirs, je répondais à ses besoins. Cela ne me coûtait pas d’ailleurs, je ne connaissait pas mes propres désirs je ne savais pas faire des demandes. Je ne voulais pas en faire de peur de me trouver devant un refus qui m’aurait blessé. Cela jusqu’au jour ou j’ai commencé à entendre mes propres besoins. A partir de ce moment-la, j’ai senti le besoin de me respecter. De ne plus me laisser définir. Ce fut une crise terrible. Chaque fois que je tentais de parler de moi, mon mari me traitait d’égoïste. Il avait une phrase qui me blessait terriblement : ’Tu ne penses qu’à toi.’ Cela me paraissait la pire des injustices moi qui m’étais en quelque sorte sacrifiée pendant 18 ans pour lui. Je l’invitais chaque fois à me parler de lui, à dire ce qu’il ressentait.
C’était quasi impossible pour lui. Quand j’y repense aujourd’hui ce fut une période pathétique, cruelle. Je me suis mise à haïr sa famille. Je leur en voulais de ne pas avoir appris à leur fils de se dire, d’oser exprimer ce qu’il ressentait. Bien sur que je le bousculais, il devait avoir le sentiment de découvrir une étrangère. Je sentais que c’était insupportable pour lui, intolérable même, et en même temps je me devais de respecter mon chemin. C’est vital pour moi, c’était mon existence de femme, de mère et d’épouse qui était en jeu."
Chaque membre d’un couple aura à découvrir, puis a accepter qu’ils ont des ressentis différents par rapport a un même événement soit :
- "J’ai trouvé ce livre super, à chaque page, j’ai appris quelque chose de nouveau."
- "Moi je déteste ce genre d’ouvrage où on prétend enseigner la vie en douze leçons ! Comme si la vie pouvait s’apprendre..."
Mais il ne suffit pas d’avoir des perceptions et vécus différents, encore faut-il accepter de ne pas agir, influencer ou modifier le vécu de l’autre.
Une des règles d’hygiène relationnelle la plus efficace en couple est la confirmation.
Confirmer que ce qui est dit, vécu, perçu, ressenti par l’autre est bien... chez lui. Et que je le laisse chez lui si je ne partage pas, n’éprouve pas le même sentiment. Cela va être difficile à mettre en oeuvre car cela suppose de sortir du fusionnel, de l’amalgame proposé par l`un et l’autre des partenaires.

Parler sur l’autre, penser pour lui
Le mode relationnel le plus dominant, le plus fortement implanté dans les structures familiales en Occident est celui du « parler sur l’autre et penser pour lui ". Ce mode développe un système relationnel incroyablement pervers qui vise à « définir » l’autre, à l’étiqueter, à le juger ou à le reconnaître au travers de nos attentes, désirs, système de valeur propre.
"Quand vous viviez loin de chez nous c’était normal de ne pas se voir.
Mais maintenant que vous êtes plus près... vous pouvez venir. Vous n’avez plus d`excuses pour ne pas venir !"
"Avec le recul je comprends et j’accepte sa décision. Il avait demandé un poste à l’étranger espérant que je le suivrais et que je me retrouverai démunie et donc à nouveau soumise, dans un pays dont il connaissait parfaitement la langue alors que moi-même, je l’ignorais. J’avais envie de faire encore un bout de chemin avec lui mais pas à n’importe quel prix, pas à n’importe quelle condition."
Le changement personnel d’un des membres du couple se traduira le plus souvent, par une mutation relationnelle touchant au système dominant, dominé. Dans tout couple va se créer un système relationnel soit par complémentarité, soit par antagonisme des positions d’influences. Il y a parfois une répartition acceptable de l’influence soit dans des domaines différents soit pas négociation ou ajustement. Mais le plus souvent nous observons une cristallisation des positions, l’un des deux confirme sur l’autre sa position d’influence qui sera acceptée (complémentarité) ou refusée (antagonisme).
Les jeux du système relationnel sont sans fin car tout événement, toute situation sert de combustible pour entretenir un système qui s’autoalimente avec la participation des deux partenaires.
Les crises du système sont parmi les plus douloureuses, car elles ébranlent profondément celui qui voit sa position la plus menacée ou contestée par le changement de l’autre.

Le dominant, qui n’est d`ailleurs pas toujours conscient de sa position d’influence, a parfois, après quelques années de vie commune le sentiment qu’il n’est plus aimé, qu’il ne vaut plus rien, qu’il n’existe plus dans le regard ou dans l’écoute de l’autre, quand celui-ci modifie sa position.
"Jusqu’alors, quand il avait un désir j’acceptais pour lui faire plaisir. Je savais que la sexualité était importante pour lui. Un soir, j’ai compris que mes cystites a répétition étaient un appel de mon corps. J’ai décidé de respecter mon non-désir. Ce fut terrible. Je le sentais parfois prêt à me battre, quand je lui disais que je n’avais pas envie. C’était incompréhensible pour lui, vraiment incompréhensible. Il hurlait "à quoi ca sert d’être marié si on ne fait plus l’amour..."
C’est une épreuve terrible qui suppose des ressources intenses pour se réajuster, une capacité d’introspection et surtout le désir de renoncer à pratiquer la relation klaxon.
Quand un des protagonistes s’écrie en colère : "Bon, on n’a plus rien a faire ici, on n’a qu’à partir", il ne sait pas qu’il utilise une variante de la relation klaxon, la relation "orang-outang a base de "on-on-on", relation dans laquelle un des protagonistes est amalgamé malgré lui a l’autre et donc censé ressentir ou éprouver la même chose que celui qui parle… en son nom. Quand l’un des deux dit : "On a passé un week-end formidable...", j’invite à regarder la tête de l’autre.

Le devoir et le plaisir
* Une autre dynamique que beaucoup de couples vont mettre des années à découvrir, c’est le décalage sur les notions de devoir et de plaisir entre l’homme et la femme. Les tâches ménagères, l’intendance de la maison, la confection des repas, la prise en charge des enfants, sont intériorisées par la plupart des femmes sur un mode apparemment oblatif mais fonde en fait sur des exigences, des injonctions irrépressibles, incontournables...
" Je ne peux quand même pas laisser la cuisine en désordre", "Il faut que je fasse les chambres", "Si la baignoire est sale, je dois la nettoyer", "Je ne vais quand même pas laisser les enfants tout seuls, un après midi entier."
Ce sentiment d’obligation à base d’injonctions internes de "il faut que...", "je dois..." est vécu par les femmes, au début tout au moins comme un choix personnel ou une destinée féminine.
"Après tout, je ne peux me plaindre à personne, je savais ce que je faisais en acceptant d’avoir quatre enfants », "Ma mère me l’avait dit : "Ne te laisse pas avoir par un homme, ils ne pensent qu’à ça." Cela voulait dire : être à leur service, dans tous les domaines."
Beaucoup de femmes vont vivre cette dynamique obligatoire sur la base d’une fausse acceptation, qui va peser lourd, soit par une accumulation de ressentiments, de plaintes directes ou indirectes, de petites somatisations chroniques - migraines, constipations, arthroses, soit par des exigences d’amour énoncées de façon directes ou subtiles :
"Après tout ce que j’ai fait pour toi, pour vous, tu me dois de l’amour, vous me devez plus d’attention..."
Il va y avoir une "exigence à être aimé" pour compenser les sacrifices et même donner un sens a toutes les abnégations, à tous les refoulements que certaines se sont imposées.
L’homme, lui, qui parfois participe activement à l’entretien et l’amélioration, à l’agrandissement de l’habitat, et mêmes aux taches ménagères ou d’éducation, a intériorisé ses propres interventions sur un autre mode. Ce sera le mode du libre choix et du "plaisir à faire, du plaisir à réaliser, à construire". Quand il décide d’arrêter ou changer d’activité il le fait, libre de toute obligation "Bon j’arrête, j’ai assez travaillé je vais faire un tour au jardin, je vais aller jouer à la belote". Lui, il décide, seul le plus souvent, de faire ou de ne pas faire, d’être là ou pas là.
Il y a entre ces deux systèmes de valeurs un fossé, un monde d’incompréhension. Pour l’un et l`autre, il peut leur paraitre "naturel" "normal" de faire, de se donner à fond dans le ménage, l’éducation, l’amélioration du foyer sans comprendre que ce "naturel" et ce "normal" obéissent a des règles totalement opposées dans l’inconscient de chacun.
Si j’avais à résumer les quelques règles d’hygiène relationnelles qui me semblent vitales pour favoriser au-delà de la rencontre une relation dans la durée, voici ce que je proposerais :

Règles d’or du vivre ensemble :
Il ne suffit pas d`aimer, d’admirer ou d’apprécier une personne il faut aussi aimer et apprécier la relation qu’elle nous propose et sentir qu’il reçoit et apprécie la relation que nous lui proposons. Vivre a deux c’est découvrir que nous sommes trois, Elle, Lui, la Relation. Si la "relation" est maltraitée, malade ou niée, le projet du vivre ensemble tout en se respectant soi-même... est menacé.

Quatre autres règles essentielles :
* Introduire de la fantaisie, de l’improvisation dans la routine possible du quotidien.* Ne jamais se coucher en gardant un contentieux... contre l’autre. Malentendus, rancoeur, ressentiments doivent faire l’objet d’une expression (chez celui qui les vit) d’une écoute (chez celui qui les reçoit). Ne pas confondre la mise en mots ("voici ce que j’ai vécu") avec la mise en cause... de l’autre.
* Se rappeler que le plus important n’est pas la réalité mais le réel c’est a dire la façon dont j’ai perçu cette réalité la. Cela ne sert a rien de vouloir avoir raison sur l’autre, de se jeter des preuves à la tête. Communiquer c’est mettre en commun des différences et non des différents.
* Ne pas s’autoriser à parler sur le ressenti ou le vécu de l’autre. Chaque ressenti appartient à celui qui l’éprouve. Il doit être respecté surtout quand il ne correspond pas à notre propre ressenti. Il appartient aussi à chacun d’inventer ses possibles, d’oser l’échange, de prendre le risque de se dire, d’inviter l’autre à se dire et à entendre. Le chemin que j’espère pour ceux qui entreprennent l’ouverture périlleuse de Vivre ensemble est celui de l’échange au présent dans l’ici et maintenant de la rencontre.

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