Revue Question de
C'est ce que je fais qui m'apprend ce que je cherche.
Pierre Soulages
Question de
Compléments d’enquête
Question de N°2
Thème : Mythes & contes

Deux contes de sagesse

Auteur question de Henri Gougaud


La maison en flammes

Brise d’été, champs, chemin droit, des arbres penchés çà et là, Bouddha va sous le ciel limpide. Quelques disciples autour de lui (des jeunes gens au pas fringant) tentent d’accorder leur allure à celle de Celui qui sait. Ils lui offrent des fruits cueillis, lui posent des questions pressantes.
- Maître, ce nirvana dont on entend parler, comment est-il ? Comment l’atteindre ? La route est-elle encore longue ? Pouvons-nous l’espérer avant d’être trop vieux pour entendre, pour voir, pour ressentir encore ? Et puis, dites, en sommes-nous dignes ? Est-ce un état joyeux ? Une absence de tout ? Un néant amoureux ?
Bouddha marche et reste pensif.

Au soir, sous l’arbre à pain, on allume le feu, on boit le bol de soupe, puis sous les chants d’oiseaux :
- D’habitude, vous commentez les questions que nous vous posons, dit un garçon, les yeux lointains. Aujourd’hui, rien. Maître, pourquoi ?
Bouddha se tait un long moment puis il répond :
- Ecoutez donc. Je vais vous conter une histoire. Un jour de voyage venteux (je venais de quitter la ville) j’aperçus au bord du chemin une belle maison de maître envahie par un incendie. Des braises dansaient aux fenêtres, les murs et les portes fumaient. Je m’approchai. Je vis, dedans, des gens qui faisaient la cuisine, d’autres qui jouaient et riaient, d’autres affalés dans des hamacs qui ronflaient, les mains sur le ventre. Je leur criai de se hâter, que leur demeure était en feu, qu’il était grand temps de sortir avant qu’elle s’effondre sur eux. Un homme s’en vint sur le seuil et me demanda qui j’étais. Je lui dis : « Qu’importe, sortez ! » Et tandis que des lueurs rouges environnaient son vêtement, il me répondit : « Un instant. Où donc voulez-vous m’amener ? Expliquez-vous, je veux savoir. Si je quitte cette maison, retrouverai-je la pareille ? Elle brûle, oui, je le vois bien, mais ce n’est peut-être, après tout, qu’un mauvais moment à passer. Et vous que je ne connais pas, êtes-vous digne de confiance ? Peut-être oui, peut-être non. Cela mérite réflexion. Et puis le vent se fait méchant, le ciel se couvre, il va pleuvoir. Ne peut-on attendre demain ? » Je m’en allai sans lui répondre. Je ne pouvais rien pour ces gens. « Assurément le feu, me dis-je, les aura rôtis jusqu’à l’os avant qu’ils se soient décidés à ne plus poser de questions ».

En vérité, mes chers enfants, si vous ne sentez pas le sol assez brûlant sous vos sandales pour fuir au large, n’importe où plutôt que de rester perplexes à sautiller de mots en mots, que voulez-vous que je vous dise ? Il est tard. A tous, bonne nuit.


La fille du désert

L’attendait-elle ? Non, elle n’attendait personne. Quand le fils du sultan la vit dans le désert où il poursuivait des gazelles elle se tenait debout auprès d’un rocher blanc, et elle était si belle qu’il ne put chevaucher plus loin. Il la salua, elle non. Il la hissa sur sa monture. Sans rien dire elle se laissa faire. Il l’amena dans son palais, la fit nourrir, soigner, vêtir (sa robe n’était que poussière). Il la rejoignit dans sa chambre et ne put que s’agenouiller. Elle était la femme rêvée, mille fois approchée en songe, mille fois fuyante au réveil. Elle accepta de l’épouser.
Après un an elle eut un fils. Le prince lui offrit deux bracelets d’argent.
- J’aurais préféré, lui dit-elle, une grappe de raisins mûrs.
Après une nouvelle année leur vinrent un deuxième enfant. L’époux offrit à l’accouchée un collier d’ivoire et d’or fin.
- J’aurais préféré, lui dit-elle, une coupe de fruits mouillés.
Quand naquit leur troisième fils, elle se détourna du diamant posé près d’elle sur le drap.
- J’aurais préféré, mon ami, une simple gourde d’eau fraîche.
- Ma femme, quel malheur te tient ? Je t’offre des merveilles et que veux-tu ? Des riens !
- Tu sauras tout demain, répondit son épouse.
A l’aube ils s’en furent au désert. Par une brèche de rocher ils descendirent sous la terre.
Là était une vaste salle débordante de coffres d’or. Au fond étaient quatre squelettes vêtus de lourds et beaux habits.
- Voici ma famille, dit-elle. Ici fut une haute ville dont mon père était le sultan. Vois sa prodigieuse richesse. Hélas, un vent de sauterelles a ravagé nos champs, nos vignes, et tout le monde est mort de faim sur des fortunes inutiles. Je sais maintenant ce que sont les seuls véritables trésors. Toi, tu n’en saurais jamais rien. Va, laisse-moi à mon désert.
Il s’en fut, elle demeura seule, et le conte finit ici.

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